Ici, vous trouverez Trio, un roman de Xan, qui fut publié entre janvier et mars 2010 sur www.xantate.com


lundi 22 février 2010

Trio - Chapitre 12

  Un chapitre capital vous attend, tenez-vous prêt... Bonne lecture!

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  Fiana était assise contre la porte depuis que Elto l'avait évincée de la chambre de son frère. Au bout d'un moment, elle n'entendait même plus les cris. Elle n'avait aucune idée de l'heure lorsqu'elle se leva laborieusement. Rester là ne lui apporterait rien, et même si elle ne savait pas où aller, il fallait qu'elle bouge.
  Elle marcha un temps dans la maison, ne souhaitant pas sortir au cas où la situation de Jiono changerait. C'était son frère préféré, elle le savait, mais ne l'avait jamais exprimé. Dirac était différent d'eux deux, trop raisonnable, trop contrôlé, trop fort... Jiono était plus humain, sujet à ses émotions, ses colères. Il n'était pas le plus fort d'eux trois, évidement, mais elle savait que c'était le plus déterminé, celui qui aurait dû prendre la tête de leur famille s'ils n'avaient pas décidé silencieusement de la diriger à trois.
  La diriger laborieusement... Leur maison ne ressemblait à rien. Leurs parents morts, ils se contentaient simplement de donner quelques cours pour aider les citoyens de la ville. Les aider? Les aider à quoi exactement? A rien... Ils n'avaient pas besoin de ça. Et les triplés, bien que jeune encore, allaient passer leur vie dans une ville qui n'avait pas besoin d'eux. L'affaire des créatures... Ils endossaient la responsabilité de les traquer et les tuer, mais cela ne représentait rien que des hommes sans entraînement auraient pu faire eux-mêmes avec de la volonté. Non, en vérité, la ville était dépendante d'eux, mais d'une dépendance malsaine, qui n'avait pas de sens.
  Elle le voyait, même si elle n'en parlait pas. Leur génération sonnerait le glas de leur famille. Ils étaient déjà morts, ou presque. Leurs vies n'avaient pas d'intérêt. Et maintenant, Jiono qui était meurtri, gravement, Dirac qui n'était pas revenu. Que serait-elle capable de faire seule? Elle n'avait pas envie d'être seule, et elle n'avait pas envie de mourir non plus.
  La cuisine fut sa destination. Elle mangea quelques morceaux de viande salée, sans grande conviction. Elle réalisa que son frère ne criait plus, mais immédiatement, elle s'isola de nouveau dans son monde, pour ne pas penser ce que cela pouvait signifier. Si il y avait un problème, Elto viendrait la chercher. Ne supportant pas de rester enfermée, elle monta sur le toit. La nuit était tombée, et la ville était calme, bien trop. Elle avait honte de ne pouvoir faire plus, mais elle avait presque aussi honte de voir cette ville tétanisée dans le silence et la peur. D'aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, ses parents lui avaient inculqué que la peur était une amie qu'il fallait garder à distance, dont il fallait avoir conscience, mais à qui il fallait sourire, et non lui tourner le dos. Le courage, et le contrôle, voilà les deux armes qu'il fallait posséder. Bien sûr, tout avait été remis en cause lors de leurs morts. Elle était la seule à connaître les circonstances exactes, puisqu'elle était avec eux lorsque cela était arrivé. Ses deux frères étaient à la maison, avec Elto, mais elle, elle avait insisté plus que de raison pour accompagner leurs parents dans un court voyage. Elle n'avait pas plus d'une dizaine d'années.
  Ils étaient sur le chemin du retour. Ils voyageaient à pied. Elle était encore émerveillée devant tout ce qu'elle avait pu voir de différent. Elle ne se souvenait pas de la raison de cette visite sortant de l'ordinaire, et ni même pourquoi toute la famille n'y était pas allée ensemble. Ce dont elle se souvenait parfaitement, c'était ce qu'il s'était passé sur cette route. Sa mère venait de leur dire qu'elle attendait un autre enfant, et elle était toute excitée à l'idée d'avoir une petite sœur. Elle était sûre qu'il aurait s'agit d'une fille, et elle avait fait rire ses parents. Sur la route, ils avaient croisé de nombreux voyageurs, et à chaque fois, elle avait vu son père se concentrer. Quand elle lui avait demandé pourquoi, il l'avait regardée, avait souri, puis d'une voix très sérieuse lui avait dit que le cœur des hommes était parfois sombre, et qu'ils étaient prêt à tuer pour un rien. Il avait ajouté qu'il était de son devoir de protéger ses femmes. Elle avait ri, et sa mère aussi. Quelques heures plus tard, alors qu'ils n'étaient plus très éloignés du village où ils comptaient dormir pour la nuit, deux hommes étaient apparus sur la route, dans le sens inverse. Elle avait regardé son père, mais il lui avait juste souri, et avait conservé son attitude décontractée, marchant main dans main avec sa femme.
  Fiana s'était subitement sentie timide, et était restée à côté d'eux. Ils croisèrent les deux hommes et se saluèrent mutuellement d'un hochement de tête. Sans pouvoir se l'expliquer, Fiana était terrifiée et elle attrapa la main libre de son père. Les deux hommes n'avaient rien de spécial, mais... Elle avait senti la main de son père serrer la sienne jusqu'à lui faire mal. Elle avait poussé un cri, et son père était tombé à genoux. Lorsqu'elle avait vu la lance dépasser de la poitrine, il était déjà trop tard. Son père s'était écroulé face contre terre, mort, le cœur transpercé. Hypnotisée, voyant les gestes de tous au ralenti, elle avait vu l'expression du visage de sa mère changer, passant de la surprise, à la tristesse, et finalement à la rage. Elle s'était tournée vers les agresseurs, mais ils étaient déjà sur elle. Un coup de pied dans le ventre l'avait fauchée et elle s'était retrouvée au sol, les mains contre son bas-ventre. Les deux hommes avaient ri, et ils s'étaient tournés vers Fiana.
  Ce fut la première fois de sa vie qu'elle vit le désir dans les yeux d'un homme, et elle tremblait encore à chaque fois qu'elle y repensait. Ils s'étaient approchés, et elle savait qu'ils ne voulaient pas la tuer. Pas tout de suite du moins. Sa mère, le visage contracté par la douleur, s'était relevée et interposée. Ils avaient ri encore, car il était évident qu'elle n'était pas en mesure de les retenir. Son entrejambe était humide de sang. Elle arracha littéralement les yeux d'un des deux hommes. Mais, trop faible pour réagir à temps, l'autre lui enfonça un couteau dans la poitrine. Un autre son que Fiana n'oublierait jamais était celui des os craquant sous la lame. C'était le son qui lui avait redonné vie, à elle. Sa mère s'était écroulée, et le regard mort s'était posé sur le sien. Fiana avait crié, et l'homme restant, déstabilisé par la mort de son compagnon, tout autant qu'euphorique d'avoir tué, se retrouva au sol, une enfant de dix ans lui martelant le visage avec une force qui aurait pu briser des roches. Avant de mourir, il vit des yeux couleur or, et une bouche déformée en un rictus de folie.
  Depuis lors, elle n'avait plus jamais été la même. Lorsqu'on l'avait trouvée, on l'avait raccompagnée jusqu'à la maison, elle n'avait qu'à peine parlé. On ne lui avait pas vraiment posé de question, les quatre corps avaient été assez éloquents. Et elle n'avait plus parlé que par images, énigmes, les yeux perdus dans un monde où elle se sentait en sécurité... Elle se souvenait que Elto était venu la voir peu de temps après, lorsque son corps de jeune fille s'éveilla à sa féminité. Ce fut la seule fois où elle l'entendit parler, et la seule conversion qu'ils eurent par des mots. Elle ne sut jamais comment il se retrouva au courant des évènements, alors qu'elle n'en avait jamais donné de détail. Mais ses mots étaient forts, tristes et apaisants. Il lui avait dit que les hommes n'étaient pas tous pareils, que certains évoluaient suivant un code moral, et que d'autres n'avaient même pas la dignité des animaux. Il lui avait dit que ce qu'elle avait vu dans les yeux des bandits de l'époque était un désir qu'il fallait fuir, qu'il fallait différencier de celui naissant de l'amour partagé. Elle n'avait compris que plus tard, et souvent, des parcelles de cette conversation resurgissaient pour prendre un sens supplémentaire.
  Mais la mort de ses parents, qui étaient si forts, si importants, provoquée par deux simples hommes, des bandits, des monstres humains... Tant d'années après, elle ne comprenait toujours pas. Tout ce qu'elle connaissait était remis en question, tout ce qu'ils lui avaient appris. Si son père avait été plus attentif à sa peur, il aurait peut-être évité ce qu'il s'était passé. Non pas qu'elle lui en veuille. Elle lui en avait voulu, bien sûr, mais avait réalisé que ce sentiment la privait de l'amour qu'ils avaient eu pour elle.
  Aujourd'hui, elle ne savait pas ce qu'elle devait faire. Elle n'arrivait pas à dompter sa peur pour en faire une alliée... Sur son toit, elle regarda le ciel, mais aucune réponse ne l'attendait. Qu'elle parte dans la ville traquer les bêtes? Qu'elle reste aux côtés de Jiono, séparé par une porte que Elto ne lui laisserait pas franchir? Chercher Dirac, et le trouver mort? Qu'importe que la créature dévore les faibles, elle ne voulait pas être seule...
  Un mouvement la fit regarder vers le bas. Elto venait de sortir de la maison. Il était torse nu et c'était la première fois depuis de nombreuses années qu'elle le voyait ainsi. Elle le vit se camper devant la maison et attendre. Pourquoi? Gardes-tu notre demeure? Mais si tu en gardes l'extérieur, l'intérieur est donc libre d'accès... Glissant silencieusement dans la maison, elle courut avec la finesse de la brise jusqu'à la chambre de son frère. Elle n'hésita pas à entrer.
  _ Jiono?
  Une simple bougie éclairait la pièce, et elle découvrit son frère assis sur le lit.
  _ Fiana...
  Sa voix était faible, mais il était réveillé. Elle se précipita sur lui et le prit dans ses bras, le serrant sans ménagement.
  _ J'ai eu si peur!
  Il lui retourna son étreinte, jusqu'à lui faire mal.
  _ Tu me serres trop fort...
  Il la laissa s'écarter. Son visage était tendu, plus gris que blanc, mais ses yeux étaient vifs.
  _ Je crois qu'il s'en ait fallu de peu...
  _ Oui! Tu criais fort, trop fort! Comment te sens-tu? Comment va ton bras?
  Il sourit, et elle remarqua à peine que ce sourire n'était pas celui qu'elle connaissait. Il leva le bras, et déchira le bandage avec ses dents. D'un mouvement rapide, son bras émergea. La blessure avait disparu et la peau était redevenue normale.
  _ Mon bras me brûlait... Et le feu s'est répandu dans tout mon corps, jusqu'à ce que mon crâne me donne l'impression de flamber à son tour.
  _ Mais tu te sens mieux maintenant?
  Jiono posa une main sur l'épaule de sa sœur. Cette fois, elle réalisa que son regard n'était plus tout à fait le même.
  _ Oui, beaucoup mieux. Tellement mieux qu'avant. Je veux te montrer.
  Lorsqu'il approcha son visage du sien, Fiana recula et se remit debout, hors du lit.
  _ Qu'est ce que tu veux me montrer?
  Il la suivit, et lorsqu'elle recula encore, il était là aussi.
  _ J'ai compris maintenant. Notre vie, ce n'est pas ce qu'elle devrait être. Nous sommes puissants. Regarde mon bras.
  Il le tendit, le poing fermé, et elle vit les veines apparaître sous la peau, bien trop saillantes.
  _ Mon bras est guéri, et j'en suis plus fort. J'ai accepté la sagesse de ces créatures pour la faire mienne.
  _ Tu me fais peur.
  Il balaya la remarque d'un geste de la main et enchaîna.
  _ Nous ne sommes pas faits pour défendre cette ville. Nous sommes faits pour vivre comme des princes, comme des rois. Nous sommes plus forts que tous, nous sommes sensés, plus dignes, nous sommes bien plus que toute cette vermine que tu trouves dehors... Personne n'est au dessus de nous.
  Fiana se cogna au mur et Jiono était sur elle, la faisant prisonnière. Son regard se mit à briller d'une lueur qu'elle connaissait, et qu'elle ne voulait pas voir.
  _ Jiono, la fièvre doit te perturber, tu dois te recoucher maintenant.
  _ Non, non, non... Tu le sais toi aussi, et tu sais aussi plus que cela. Notre lignée doit perdurer.
  Elle sentit la panique l'envahir, mais elle se reprit. L'étincelle de désir dans les yeux de son frère lui donna la volonté d'agir. Elle le frappa sans réserve au torse, et il s'écroula aux pieds du lit. Elle regarda la porte, mais secoua la tête. Elle ne devait pas fuir. Elle le regretta immédiatement, lorsque Jiono fut sur ses pieds en un mouvement fluide et qu'il la plaqua contre le mur. La pression était telle qu'elle savait n'avoir aucune chance de se dégager. Le désir brûlait plus fort encore dans les yeux devant elle, le même que celui des hommes le jour de la mort de ses parents.
  _ Tu es belle, ma sœur. Tu es forte. Toi seule est digne de porter les enfants de notre famille.
  Elle hurla lorsqu'il posa une main sur son sein.



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  Alors? Plaque tournante de l'histoire, on arrive au point de rupture, là où tout s'effrite.
  J'ai pris un plaisir relatif à écrire ce chapitre. Je l'aurais peut-être aimé plus violent, mais tourner les choses à la surenchère n'est pas mon but. D'autant plus que la suite ne risque pas d'être paisible...

  Merci une fois encore à ma bêtareadeuse qui rend le texte présentable, et puis à toutes les personnes laissant des commentaires.

  Notez que j'ai ouvert un second blog, www.xananym.com , sur un projet de court-métrage d'animation.

  Xan

3 commentaires:

  1. O_o ! J'ai cru un moment qu'il avait vaincu la créature et qu'Alnia avait eu tord. Elto va arriver à temps, j'espère ou alors Fiana va quand même mourir, ce qui explique que Dira cse retrovue tout seul. Mais qu'est-ce qu 'il fiche cuilà ?! Faut qu'il se réveille !!

    alors, ça y est, on se dirige déjà vers la fin ? T'avais dit court mais c'est quand même frustrant !!

    Sinon, j'ai trovué ce chapitre très intéressant, j'aime beaucoup la façon dont tu développes tes persos secondaires ^^

    Bisous.

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  2. J'apprécie toujours la juste place que tu donnes aux personnages dit secondaires, mais néanmoins vitaux et de personnalité non moins complexe.
    On les découvre plus profondément toujours en temps et en heure avec toute la force du rôle joué, maillon nécessaire aussi petit soit-il.

    ça participe à la tension générale: quand est-ce qu'on en saura enfin plus sur untel-secondaire qui semble être plus qu'une nounou, etc :P

    Sacré performance que cette écriture en live pleine de substance, miam!

    ça y'est, 5minutes, et je me rends compte que je suis en train de me détendre après la lecture de ce dernier chapitre. J'ai dû oublier de respirer à certains moments...^^

    Nani pas si détendue que ça (et Fiana alors??!)

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  3. J'adoooooooore OUAIS !! ( nan, pas de hurlement ici xD ) Outre le fait que j'adore traiter de l'inceste dans ce que j'écris, et ce que les autres écrivent en passant, on sort enfin de la tête de Dirac, et ça fait du bien !
    Pis on découvre enfin les circonstances de la mort des parents, moi qui pensait que Dirac y avait assisté, bah non, c'est Fiana 0o
    Donc, Jiono s'est bien transformé en "bête", et il a choisit sa soeur ? Mmh ... et Alnia a choisit Dirac.
    Je suppose que tu ne vas pas te contenter de marier tout le monde dans la joie et la bonne humeur hein ?

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