Ici, vous trouverez Trio, un roman de Xan, qui fut publié entre janvier et mars 2010 sur www.xantate.com


samedi 20 mars 2010

Trio - Chapitre 16

  Et voilà, un peu de lecture!!!
  Au boulot!

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  Mon retour à la grotte est long et difficile. Je me sens faible, blessé, mentalement ébranlé. Dans mon corps, un élément intrus se propage, m'attaque de l'intérieur, me dénature... Il n'y a pas d'ennemi physique que je ne puisse vaincre. Homme, femme, monstre, dieu, qu'importe, je serais toujours plus fort, je trouverais toujours un moyen pour sortir vainqueur. Mais là? Quel sens cela peut-il avoir? L'agression est autre, de mon propre corps! Je sens l'équilibre en moi, fragile, se désagréger. Et pire que tout, j'entends, au delà de ma propre conscience, mon démon qui hurle, qui souffre, qui est dévoré par ce poison qui vient prendre sa force, sa place. Mon mental est encore intact, je le sens, mais dès que mon ennemi de toujours sera absorbé, ce sera mon tour, et là, je ne pourrais rien faire. Combien de temps est-ce que j'ai? Dix minutes, une heure, une journée?
  Je suis appuyé contre un arbre, j'ai du mal à me déplacer. Mais je veux revoir Alnia avant toute perte de conscience. Le combat qui est mené en moi, il m'épuise. Je ferme les yeux quelques instants. Je dois me concentrer, me recentrer. Je n'ai pas le choix, je n'ai plus que mes propres forces. Je ne tiendrais jamais une journée, je ne tiendrais qu'une heure, à peine. Et... Je me tuerais avant de changer. Car je sens, je sais que je deviendrais pire que ma sœur qui a tué, pire que mon frère qui l'a violé. De par ma force, de par mon démon qui est absorbé par le poison, qui devient fou, que je ne pourrais pas contrôler, je vais devenir un cauchemar qui ne pourra pas être arrêté et qui va détruire. Tout. Physiquement, je me sens faible, mais je sens l'énergie qui nait en moi, qui augmente, dans ma peau, dans mes organes. Je refuse de l'utiliser, je combattrais jusqu'au bout, mais cette force est là, bien plus grande que tout ce que j'ai jamais connu, bien plus que quiconque ai jamais eu entre ses mains. Si je me transforme en une entité sombre, je deviendrais un dieu maléfique.
  Je me décolle de l'arbre, et focalise mes esprits. J'isole mon mal, mon mal-être, mon trouble rampant, et je force  mes muscles, autant qu'ils soient encore les miens. J'ai la tête qui tourne, mais je refuse de me laisser distraire. Je dois voir Alnia! Lui dire au revoir... La prendre avec moi, peut-être? Lui demander de me tuer, surement. Je ne veux pas lui imposer cette peine, mais dois-je pour autant prendre le risque? Non! Non... Je ne dois pas. Je ne veux pas mourir, pas maintenant...
  La vue de la grotte me fait accélérer. Mon sang bouillonne presque, je le sens qui me brule. J'ai l'impression qu'il veut me déchirer la peau de l'intérieur. Mon cœur bat de façon irrégulière, et mes poumons, j'ai l'impression qu'ils tremblent, comme s'ils étaient pris de spasmes. Dans la grotte, je glisse et roule sur la pierre, pour finir ma course tout en bas. J'ai la tête qui tourne, je ne sais plus vraiment où je suis... Mais lorsque je sens des mains sur moi, qui me redressent, et m'aident à m'adosser à une paroi rocheuse, je comprends que je suis arrivé jusqu'à elle, et que tout va aller mieux.
  Je refocalise le regard, et je la vois. Je ne l'ai quittée que quelques heures à peine, mais je la redécouvre avec bonheur. Son visage a retrouvé ses couleurs, ses yeux sont vifs, et je suis presque sûr que toutes ses blessures se sont résorbées. J'ai envie de la serrer contre moi, mais lorsque je lève les bras, je vois son expression changer, et elle se recule précipitamment, comme si j'étais en feu, comme si j'étais un étranger, un paria.
  _ Alnia...
  Je tente de me pencher vers elle, mais elle se recule encore, bien hors de porté de mes bras.
  _ Tu as été mordu!
  Elle ne crie pas, elle n'accuse pas, elle pleure, et j'ai envie de balayer ses pleurs. Je ne peux pas, car elle a raison, et au delà, il faudra rapidement agir.
  _ Alnia... Je voulais te revoir... Ma sœur, elle m'a mordu. Je n'ai pas pu la vaincre. Mon sang... J'ai l'impression qu'il est en feu. Je t'en supplie...
  _ Ton sang... Non!
  Elle recule encore, elle n'est pas seulement effrayée, elle est en état de choc, je crois. Je ne suis pas sûr, en moi, les choses se bousculent. J'ai terriblement chaud. Dans ma tête, j'entends un hurlement de rage, de douleur. Je n'en ai plus pour longtemps.
  _ Je voulais te dire... Je voulais partir avec toi, comme tu me l'as proposé. Je voulais... Avec toi... Tu avais raison. Je voulais te le dire.
  Comprend-t-elle ce que je dis? Elle recule encore, elle n'est pas loin, mais ma vue se trouble, tellement que j'ai du mal à la voir. Je ne vais pas être capable de m'arrêter moi-même, je le réalise. Il faut qu'elle m'aide.
  _ Laisse cette région derrière toi, fuis là où personne ne te connait. Fiana et Jiono vont vouloir te tuer si tu restes.
  Est-ce que je viens de l'entendre grogner? Je ne suis pas sûr... Je ne sais plus trop. Le hurlement prend de plus en plus d'importance dans ma tête, tellement que je n'entends, je crois, rien d'autre. A moins qu'elle ne parle pas, tout simplement? Mais moi, j'ai encore tant à lui dire... Je dois avancer sur le dernier point, pour lui donner de la force.
  _ Alnia, je ne vais pas me contrôler longtemps encore. Je suis un danger, au delà de tout ce qui existe. Tu dois m'arrêter maintenant avant que je ne change pour de bon. Je t'en supplie. Alnia!
  Est-elle là? Elle doit comprendre, elle doit réaliser, elle doit savoir... Elle doit faire ça! Je ne peux pas comprendre à quel point cela doit être difficile, mais elle doit...
  _ Non! Qu'importe l'humanité. Ils ne me concernent plus. Tu n'es pas Dirac. Dirac ne m'aurait pas quitté. Dirac est trop fort pour se laisser vaincre. Ton piège ne marche pas. Mon Dirac est quelque part, et je vais le retrouver.
  Là, je sais qu'elle part. Je ne vois plus, je n'entends plus, je peux à peine bouger, mais sa présence, la présence de la femme qui est pour moi, disparait. Elle part, elle me laisse, elle laisse derrière elle son homme. Elle m'abandonne. Elle me laisse en pâture à sa malédiction. Alnia! Je t'en supplie...
  On me poignarde le cœur. De l'intérieur. Ma tête, on l'écrase sous des rochers, mes poumons, on les serre jusqu'à les réduire à l'impuissance. Mes muscles se convulsent, se tordent. Mes os, on les fracasse. Je n'arrive plus à penser, je n'arrive pas à comprendre. Mon démon hurle, un cri d'agonie qui me déchire en deux, jusqu'à la folie.
  N'y a-t-il plus rien pour nous deux que la mort, l'extinction au profit du mal? Mais, qu'est-ce que le mal? Serait-ce une entité qui détruit la vie d'autrui, ou plus proche, une entité qui détruit son hôte?
  Je me lève, à moitié poussé par la force de la folie. Une fois, deux fois, je me cogne le crâne de toutes mes forces contre la roche. Je veux faire cesser cette douleur! Je ne veux pas mourir! Je ne veux pas devenir un monstre! A la troisième fois, entre tout, je réalise que du sang coule sur mon visage, et que j'ai un gout désagréable dans la bouche. Je crie, je crie si fort que ma voix résonne dans la grotte, se répercute sur les murs, et revient vers moi, pour m'assaillir de toutes parts. Je crie encore plus fort.
  Le poison est partout dans mon corps, et est en train de submerger mon esprit. Je le sens, cette envie de violence, de causer des douleurs, et briser des vies. Ce besoin de boire du sang et de manger de la chair. Boire du sang? Moi? Non! Jamais! Je me cogne la poitrine des poings, autant pour focaliser la douleur que pour arrêter mon cœur. Mais cela ne marche pas... Je tombe à genoux, et me relève aussitôt, Je sens que mon corps, doucement mais surement, sort de mon contrôle. Je ne sens plus ma force, je ne sens plus rien, je ne vois plus, je n'entends plus, la douleur physique s'efface, je ne sens même plus le gout du sang sur ma langue. Ma tête est plus qu'une douleur, c'est comme une torche, crépitante, incandescente. Que quelqu'un vienne pour me tuer! Que personne n'approche!!!
  Je plonge dans l'eau du lac souterrain, et je touche bientôt le fond. Je sens à peine l'eau que j'avale, et l'air que je ne respire pas. Mes jambes bougent hors de ma volonté, et je vais pour remonter. Un ultime sursaut conscient actionne mes bras. Mes mains s'accrochent à la roche du fond, et toute ma volonté se focalise sur ce geste. Mes jambes bougent frénétiquement. A tout prix, je dois rester accroché, c'est ma dernière chance. Non, pas une chance qui me permettrait de survivre, c'est trop tard. Mais au contraire, une chance qui pourra me permettre de mourir en tant qu'humain, et d'épargner... Non, plus simplement, qui me permettra de m'épargner la déchéance. Je suis un homme, et rien ne pourra changer cet état.
  Une main lâche sous la pression, mais l'autre tient bon. Ces doigts sont le dernier rempart, j'y mets tout ce qui reste de moi. Ce qui fut mon corps s'agite, se secoue, se débat comme un animal sauvage enfermé. Je sens l'eau qui pénètre dans les poumons qui furent à moi. Mais non, il me reste encore un fragment de conscience, et ce bras qui est mon sauveur. Il tremble tellement, les doigts serrent tellement fort la roche que j'ai peur qu'elle se brise. La violence déchainée dans ma tête diminue doucement, et le corps que j'habite se calme malgré lui. J'y suis presque. Quelques instants avant que ma conscience n'entraine le corps dans la mort, je regagne le sens de la vue. L'eau est rouge du sang qui s'échappe de plusieurs plaies, du cou, des doigts meurtris. Il n'y a rien autour de moi, je suis seul. Je meurs, seul. Au revoir Fiana, au revoir Jiono, je vous aime, et j'aurais aimé vous épargner ces douleurs. Alnia, merci à toi. A défaut d'avoir pu me sauver toi-même, tu m'as fait vivre, quelques instants.

  L'eau du lac souterrain, rougît de sang, s'apaisa lorsque l'intrus cessa de bouger. Il n'y avait pas beaucoup de profondeur, et le corps fut bientôt à la surface, dérivant lentement, sur le ventre, pour se cogner à une berge. Sur la rive, personne n'était là pour le sortir de l'eau, ni même pour le voir. La grotte vide, désormais silencieuse, n'était de nouveau plus qu'un ancien lieu de culte, froid, inerte, perdu de la mémoire des vivants.
  Rien ni personne ne vit le corps bouger. Pour une raison inexplicable, alors qu'il n'y avait qu'un très faible courant provenant de la rivière souterraine, le corps se retourna sur le dos. Le visage était paisible, quelques filets de sang dilués à l'eau courait sur son visage, de son nez, sa bouche. Les yeux étaient ouverts, vides, rouges. Sans savoir si une simple minute ou une heure s'était écoulée, sa poitrine se souleva avec violence. On aurait dit qu'une masse la frappait, non pas de l'extérieur, mais de l'intérieur. Les bras en croix, le jeune homme ouvrit la bouche en un cri silencieux, et ses yeux s'écarquillèrent, devenant noirs comme les ténèbres. Sa poitrine se souleva encore, et encore. Au bout d'un moment, son hurlement déchira l'air, et ses yeux devinrent lumineux, un court instant, faisant reculer les ombres. Dans un nouveau cri, deux voix se mêlèrent, une humaine, et une plus animale que le hurlement d'un loup à la pleine Lune.
  Dirac dériva sur le lac, ne pouvant se noyer, et trop faible pour bouger.
  _ Comment t'appelles-tu?
  _ Je n'ai pas de nom...
  La première voix était bel et bien la sienne, tandis que la seconde, sortant toujours de ses lèvres, n'avait rien d'humaine.
  _ Qui es-tu?
  _ Tu l'as toujours su...
  _ Un démon?
  _ Je ne suis pas un démon. Je suis toi, tout autant que ton démon. Tu ne peux pas comprendre...
  _ Pourquoi m'as-tu sauvé?
  _ Tu t'es sauvé toi-même. Tu as détruit le poison qui m'avait vaincu.
  _ Mais tu m'as sauvé aussi.
  _ J'ai fait repartir ton cœur. Je ne peux pas vivre sans hôte. Tu es mon hôte.
  _ Mais tu aurais pu prendre ce corps pour toi.
  La voix ne répondit pas, mais, alors que la faiblesse laissait place à un regain de vitalité, Dirac sentit en lui une transformation, une disparition. La violence s'effaçait, au profit de l'harmonie, de la paix, de l'équilibre. Pour la première fois de sa vie, il abandonnait le contrôle qu'il exercerait sur son propre esprit et corps. Car son démon n'était plus une menace.
  Lorsqu'il monta sur la berge, son regard était désormais d'argent.


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  Voilà un chapitre que j'aime bien. Pourquoi? J'aime bien lorsque les personnages se battent contre eux-mêmes, et qu'ils dépassent les barrières de leur volonté.
  Qu'en pensez-vous???

  Xan

2 commentaires:

  1. Mmh intéressant ! il se fait mordre, il est bien partit pour subir la même transformation que son frère et sa soeur mais non ! il en subit une autre ... reste à savoir si c'est mieux.
    Là, Dirac devient intéressant !
    et dire qu'il ne reste que deux chapitres avant la fin 0o

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  2. * reste du chocolat mais n'a plus faim*

    en fait, vu qu'il était déjà un démon, la morsure a eu un effet bénéfique pour lui ! enfin, un peu de volonté chez Dirac et quelque chose de positif. ça fait du bien et ça devient très intéressant. Moi, j'aime pas trop les combats intérieurs mais j'aime beaucoup les mouvements d'ensembles où les deux consciences sont capables de travailler ensembles !

    j'ai l'impression qu'il reste encore plein de potentiel pour cette histoire. je me demande comment tu vas la finir!

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